Histoire forestière de l'Abitibi-Témiscamingue

Instabilité chez les industriels

2000-2011
 

2000-2005

En l’an 2000, le géant Abitibi-Consolidated fait l’acquisition de l’entreprise Donohue, mettant ainsi la main sur les scieries abitibiennes de Comtois, de Champneuf et de Senneterre. En 2002, une première tuile tombe sur la tête des industriels. Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, signe une entente historique avec la nation crie : la Paix des Braves. Cette entente règle en bonne partie le conflit autochtone, mais elle a aussi pour conséquence de diminuer la possibilité forestière d’environ 25 %!

En 2003, la compagnie Norbord vend son usine de sciage de Senneterre à la compagnie Tembec, de même que son usine de sciage de La Sarre. Tembec met fin à l’entente qui liait l’usine de Norbord de Senneterre avec celle d’Optibois de Barraute. Optibois ne peut trouver d’approvisionnement en forêt publique et doit fermer ses portes. En 2004, Temlam et la Société générale de financement convertissent Scierie Amos en une usine de fabrication de LVL (Laminated Veneer Lumber). La venue de Temlam Amos est applaudie, une usine qui générera des emplois et qui sera une locomotive de la 2e et 3e transformation dans le secteur d’Amos.

En 2005, une crise forestière frappe de plein fouet le secteur de la première transformation de l’Abitibi-Témiscamingue, mais surtout du Nord-du-Québec. Cette crise est qualifiée de « tempête parfaite ». Plusieurs facteurs y contribuent. Les usines de sciage subissent les contrecoups du conflit sur le bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis. Puis, les bénéficiaires de CAAF du Nord québécois doivent composer avec les restrictions engendrées par la Paix des Braves. De plus, en 2004, le dépôt du rapport Coulombe recommande d’autres diminutions de la possibilité forestière. Par ailleurs, l’exportation devient plus difficile pour les entreprises forestières, et ce, en raison de la hausse du dollar canadien. La tempête s’aggrave lorsque les États-Unis, le principal acheteur de bois du Canada, entrent dans une profonde crise économique au tournant de 2005. À ce moment, tout est paralysé! Des piles de bois de sciage s’entassent dans les cours de plusieurs « scieurs intégrés » de la région. Par exemple, l’usine de bois jointé de Tembec à La Sarre, acquise en 2003, arrête sa production. Les volumes de bois de cette usine serviront à consolider les approvisionnements de l’usine de Taschereau, ainsi que de son autre usine de sciage de La Sarre (ancienne Howard-Bienvenu). Aussi, Tembec ferme son usine TKL de Témiscaming en 2005. Cette année-là, Domtar met également la clé dans la porte de son usine de Malartic. Il n’y a pas que le bois de sciage qui est en crise. Un autre secteur forestier est touché : les pâtes et papiers. La production de la pâte kraft de la compagnie Domtar de Lebel-sur-Quévillon cesse, l’usine ferme en cette première année de crise. De son côté, la demande nord-américaine de papier journal est en forte baisse en raison, notamment, de l’avènement de la technologie et des moyens de communication. La demande de copeaux qui servent à fabriquer les pâtes et papiers diminue, et les scieurs qui en produisent ne doivent plus compter sur leurs ventes de copeaux pour soutenir leurs revenus.

Quelques-uns ont réussi à sauver leur entreprise. Les scieurs indépendants qui ne sont pas cotés à la bourse, tels que Scierie Landrienne ou Matériaux Blanchet, ont trouvé des créneaux et des marchés bien à eux. Leurs usines se modernisent constamment et sont performantes. Ces deux usines produisent des longueurs de bois assorties, comme le faisaient les plus petites scieries de l’époque. La haute performance de leur équipement leur permet d’éviter les pertes, de faire plus de matériaux avec un billot. Il en résulte une moins grande quantité de copeaux, un marché définitivement secondaire pour eux.

La foresterie régionale vit également une crise environnementale! L’Abitibi-Témiscamingue nage en pleine acceptabilité sociale! Les compagnies forestières poursuivent leur collaboration avec la population en participant aux Tables de gestion intégrée des ressources (GIR) régionales, mais la demande pour l’utilisation de la forêt est grandissante. La concertation se fait avec plusieurs regroupements pour un même territoire (riverains, chasseurs, pêcheurs, pourvoyeurs, etc.). L’exploitation forestière, par la nature de ses activités, inhibe certains projets de ces regroupements. L’industrie forestière porte alors une image négative, une image accentuée en 1999, et pour la décennie suivante, à la suite de la parution de la veine pamphlétaire L’Erreur boréale de Desjardins et Monderie. Bien que ce film ait le mérite d’avoir soulevé des interrogations sur les volumes des réserves forestières disponibles en Abitibi-Témiscamingue et dans le Nord-du-Québec, il a par contre créé un abus de confiance entre la population et l’industrie de l’exploitation forestière. Désormais, les gens veulent s’assurer que les bois qu’ils achètent ont été récoltés selon les normes et dans le respect de l’environnement. En dépit du fait que les normes québécoises sont extrêmement sévères, les entreprises forestières doivent rassurer leurs acheteurs et empruntent un passage obligé : la certification forestière.

2006-2009 : L’hécatombe

Que ce soit pour l’industrie du sciage ou des pâtes et papiers, les entreprises forestières doivent aller récolter le bois de plus en plus loin, ce qui fait exploser les coûts de production. La crise de 2005 est l’une des pires crises de l’histoire de la foresterie régionale. Elle entraîne la fermeture de nombreuses usines de manière définitive ou temporaire, occasionnant de nombreuses pertes d’emplois.

Les fermetures d’usines se succèdent dès 2006. Abitibi-Consolidated met la clé dans la porte de l’usine de Champneuf, acquise six ans auparavant. Aussi, dur coup pour Commonwealth Plywood, qui, après avoir vu un feu ravager son usine de pins et de feuillus, doit fermer son usine de placage et déroulage de Belleterre. De son côté, Tembec tourne une page de son histoire, alors que l’un des membres fondateurs et PDG de l’entreprise, Frank Dottori, quitte ses fonctions. Il est remplacé par un Américain du nom de James Lopez. Tembec cesse ensuite la production de son usine de Béarn, puis en 2007, le même sort est réservé à Temlam de Ville-Marie. Au mois de janvier de cette année-là, Abitibi-Bowater est créée. Les usines de Champneuf (inactive), de Comtois et de Senneterre passent sous la nouvelle bannière. En juin 2007, la Commonwealth Plywood de Tee Lake annonce officiellement sa fermeture. En février 2008, l’usine de Comtois doit procéder à une fermeture temporaire de trois mois, elle fermera en 2009 avant de reprendre du service en 2011. L’usine de papier d’Abitibi-Bowater à Amos éprouve certains ennuis en 2009, alors qu’elle est contrainte de fermer pour 21 semaines.

Cette mauvaise période pour l’industrie forestière a des répercussions jusque sur les bancs d’école. Les jeunes ne s’intéressent plus aux métiers forestiers. Un manque de relève qui sera difficile à combler lorsque le marché du bois renaîtra de ses cendres.

2010-2012

L’industrie forestière est en piètre état, en région comme dans le reste de l’Amérique du Nord. Pourtant, elle semble vouloir se relever. En 2010, l’ancienne usine Temlam de Ville-Marie reprend vie sous l’entreprise LVL Global. Un vent d’espoir souffle sur la région en 2010, alors que les installations de Domtar sont achetées par une entreprise forestière montréalaise : Eacom. Toutefois, à peine un an après l’achat de ses nouvelles usines, Eacom ferme l’usine de Matagami, alors que celle de Val-d’Or ferme par intermittence. C’est également en 2011 que Tembec prend la décision de fermer son usine de Taschereau. Puis, dans l’espoir de repartir sur de nouvelles bases, Abitibi-Bowater change de nom pour celui de Produits Forestiers Résolu.

En 2012, Tembec se doit de fermer temporairement son usine de La Sarre, mais investit tout de même 190 millions de dollars dans son usine de Témiscaming. Dans le but d’approvisionner l’usine du Témiscaming en copeaux, Tembec procède à la réouverture de l’usine de Béarn. La crise a poussé la communauté forestière à trouver de nouvelles niches économiques, de nouveaux produits à mettre sur le marché. C’est le cas de Lebel-sur-Quévillon, qui réussit à trouver un acheteur pour l’ancienne papetière de Domtar. Fortress Global Cellulose investit 100 millions de dollars dans la relance de cette usine, qui fabriquera un nouveau produit à partir de la pâte de bois : la rayonne.